A l'occasion des "16 jours d'activisme contre la violence basée sur le genre" (VBG), une campagne internationale annuelle lancée par ONU Femmes, ACTED revient sur son projet lié à la VBG au Soudan du Sud. Cet article, à travers le témoignage de deux femmes, aborde la multidimensionnalité de la violence subie par les femmes lors de crises humanitaires, tout en partageant les améliorations portées par ce projet.
En raison de la guerre civile prolongée au Soudan, 173 000 personnes originaires de l’État du Nil Bleu ont trouvé refuge dans l’un des quatre camps de réfugiés situés à Maban, au Soudan du Sud. En plus des expériences traumatisantes vécues et des conditions de vie difficiles dans les camps, les femmes sont exposées à des violences basées sur le genre – ce type de violence étant profondément ancré dans l’inégalité de genres dans le pays, des normes sociales et de genre nuisibles [1]. En renforçant les services de protection essentiels et en apportant un soutien important en matière de santé mentale aux femmes réfugiées, ACTED et son partenaire local « Humanitarian and Development Consortium » (HDC) aident les survivantes de violences sexistes.
L’article 1 de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (1993) stipule que « les termes « violence à l’égard des femmes » désignent tous actes de violence dirigés contre les femmes, et causant ou pouvant causer un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». La violence sexiste peut prendre diverses formes, comme la violence conjugale, la violence sexuelle, le mariage précoce, les mutilations génitales féminines, la traite à des fins d’exploitation sexuelle, l’infanticide de filles, les crimes d’honneur, mais aussi la privation de nourriture et d’éducation [2].
Pour l’UNICEF, « les conflits armés, les catastrophes naturelles et les urgences humanitaires peuvent considérablement affaiblir la capacité d’une société à protéger les femmes et les filles de la violence sexiste. Les taux de violence conjugale augmentent souvent dans les situations de crise. De nombreux groupes armés utilisent également la violence sexuelle comme un outil de guerre pour atteindre des objectifs militaires ou politiques. Pendant ce temps, les femmes et les filles peuvent être contraintes d’échanger des rapports sexuels contre de la nourriture, de l’argent et d’autres ressources dont elles ont besoin pour survivre ».
Dans la plus récente nation du monde, touchée par des années de conflits, de sous-développement et de chocs climatiques, des millions de Sud-Soudanais font face à l’insécurité alimentaire, aux déplacements et aux fréquentes violations des droits. C’est l’une des crises humanitaires les plus graves et prolongées de l’histoire récente.
Lorsqu’un ménage est confronté à l’insécurité alimentaire et à d’autres problèmes majeurs les risques de protection augmentent, en particulier pour les femmes et les filles qui sont traditionnellement chargées des tâches ménagères, comme de la préparation des repas et de la collecte de nourriture. Comme le montrent des études menées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les normes de genre traditionnelles créent des relations de pouvoir inégales entre les hommes et les femmes. Les femmes ayant un accès limité aux terres, au bétail, à l’éducation, aux ressources financières, etc., lorsque leurs familles sont confrontées à des difficultés économiques et alimentaires, cela exacerbe la discrimination de genre et les risques de protection pour les femmes et les filles (VSBG, violence domestique, vol, mariage précoce, etc.).
Les recherches montrent que les réfugiés sont très susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale, tels que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), l’anxiété et la dépression. Cependant, le soutien psychologique reste rarement une priorité pour l’aide humanitaire lorsqu’elle répond aux besoins d’urgence des réfugiés. En 2021 et 2022, grâce au soutien financier du Bureau de la Population, des Réfugiés et de la Migration – Département d’Etat américain (USAID), ACTED et HDC ont apporté un soutien psychosocial à 120 survivantes de violences sexistes vivant dans les camps de Maban, au Soudan du Sud. Grâce à des activités récréatives, organisées dans les centres communautaires, elles ont participé à des séances de narration, de danses traditionnelles, de théâtre, de cuisine, de jardinage et de broderie. Dans cet environnement sécurisant, les femmes nouer des liens avec d’autres femmes réfugiées, avoir accès à de nouvelles activités, tout en bénéficiant d’une écoute attentive et d’un soutien psychosocial de la part des équipes de protection de HDC. En plus de leur effet cathartique, ces activités permettent aux femmes d’acquérir de nouvelles compétences, ce qui peut être un premier pas vers l’autonomisation économique. L’autonomisation économique est, en effet, clé pour sortir du cycle de la dépendance financière et de la violence.
C’est le cas de Tunke*, une réfugiée Soudanaise. Elle a vécu des événements traumatisants puisqu’elle a perdu sa mère et son enfant durant sa fuite, ce qui pèse lourdement sur sa santé mentale. Elle a beaucoup apprécié le soutien reçu lorsqu’elle s’est engagée dans les activités avec d’autres femmes qui ont, elles aussi, vécu des expériences similaires. Pour elle, c’était l’occasion de partager ses peines avec d’autres femmes réfugiées, de se sentir écoutée et de prendre soin de sa santé mentale. Cela l’a aidée à s’engager sur la voie de la résilience et de la guérison. En outre, grâce aux compétences en broderie qu’elle a développé au centre pour femmes, Tunke a pu gagner de l’argent et acheter du bétail.
Je possède maintenant cinq chèvres grâce à la vente des articles que j'ai brodé au centre pour femmes.
Ikram*, une réfugiée de 27 ans qui a également fui les conflits dans son village au Soudan et trouvé refuge dans le camp de Yusuf Batil à Maban. Souvent victime de violences domestiques de la part de son mari, Ikram s’est rendue au centre pour femmes du camp, géré par le HDC. Elle y a reçu les soins et les conseils nécessaires. Le mari d’Ikram a été finalement arrêté, et elle a obtenu le divorce et la garde de ses trois enfants. En raison de son statut de réfugiée et de l’absence de soutien financier venant de son ex-mari, Irkam continue de faire face à des difficultés économiques pour subvenir aux besoins de ses enfants. Pourtant, elle explique qu’elle se sent déjà plus forte et en sécurité.
Je remercie le BPRM, HDC et ACTED de soutenir les personnes dans des situations comme la mienne. Je suis une femme libre maintenant. Je fais quelques affaires au marché pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants. C'est une liberté qui m'était refusée par mon ex-mari.
Bien que le processus de guérison prenne du temps, Tunke, Ikram et les autres femmes participantes sont reconnaissantes du soutien apporté par ACTED et HDC. Elles rapportent également que d’autres femmes réfugiées dans les camps sont prêtes à recevoir un soutien psychosocial similaire.
Afin de prévenir les violences sexistes et assurer une meilleure protection des survivantes, ACTED et HDC travaillent avec les communautés pour rompre avec la stigmatisation des survivantes. Des processus ont également été établis pour permettre aux individus et leaders communautaires de rapporter les incidents au personnel de HDC. Les membres des organisations communautaires bénéficient de sessions de sensibilisation afin de reconnaître les cas de violences sexuelles et sexistes et aider les survivantes. En parallèle, les femmes et les filles sont accompagnées pour gérer leur protection et leur résilience. Grâce à des séances d’écoute, tout en pratiquant des activités récréatives, ces femmes peuvent reprendre contact avec la communauté, parler de leurs traumatismes et trouver le soutien psychologique dont elles ont besoin.
La violence sexiste doit être abordée de manière holistique, en s’attaquant aux causes profondes de ce problème systémique. Cela passe par la sensibilisation, le renforcement des capacités et des mécanismes d’orientation, tout en apportant un soutien d’urgence aux survivantes. La santé mentale et le soutien psychosocial sont une assistance qui ne peut être retardée.
Bien que cette thématique ne soit habituellement pas centrale à l’aide humanitaire, l’histoire de Tunke et d’Ikram prouve qu’un coup de pouce en matière de santé mentale est très utile. Non seulement ces femmes sont sur la voie de la guérison du traumatisme qu’elles ont subi, mais elles gagnent également leur vie et se construisent une existence propre. Si le Soudan du Sud a encore un long chemin à parcourir pour faire chuter les cas de violence sexiste, surtout dans un contexte politique et social aussi difficile, le travail effectué auprès des femmes dans ces camps ouvrira, espérons-le, la voie à des initiatives similaires.
*Les noms des bénéficiaires ont été modifiés à des fins de protection.
Sources :