La question de la faim a suscité un grand intérêt auprès de la communauté internationale lorsque l’état de famine a été déclaré au Soudan du Sud le 20 février dernier. Depuis, les Nations Unies ont levé officiellement l’alerte. Pour autant, les causes sous-jacentes de la faim, et donc de potentielles nouvelles périodes de famine, sont toujours là : le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire augmente et l’urgence humanitaire est plus réelle que jamais. Selon le dernier rapport de la FAO sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, paru le 15 septembre dernier, le nombre de personnes sous-alimentées sur la planète serait passé à 815 millions en 2016, contre 777 millions en 2015. L’Afrique de l’est et le Yémen comptent parmi les zones les plus concernées. En cause : des conflits de plus en plus complexes et prolongés, et les effets néfastes du changement climatique.
Conflit, crise alimentaire : le plus souvent, l’un est le corollaire de l’autre. Entre démantèlement des structures étatiques, insécurité quasi permanente, manque d’accès à l’eau, déplacements de populations, contraintes d’accès, d’approvisionnement et contraintes administratives, la crise alimentaire semble inexorable. C’est en effet principalement dans les zones de conflit que la situation alimentaire s’est détériorée, qui plus est souvent amplifiée par des facteurs météorologiques extrêmes.
Au Soudan du Sud, le conflit qui perdure depuis 2013 a plongé le pays dans une grave crise alimentaire et favorisé la prolifération d’une épidémie de choléra. Plus d’1,8 million de personnes sont aujourd’hui déplacées à l’intérieur des frontières. Dans ce pays où les moyens d’existence sont principalement agricoles, les agriculteurs abandonnent leurs terres pour fuir les violences – dans la province d’Equatoria, autrefois le grenier du pays, les terres sont aujourd’hui délaissées, meurtries par le conflit. Avec plus de 6 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire, « le Soudan du Sud fait face au pire niveau d’insécurité alimentaire de son histoire », d’après Michael Mangano, directeur pays d’ACTED. Les combats dans le pays ont précipité l’insécurité alimentaire dans le pays en raison du manque de personnes en mesure de cultiver, de l’absence d’accès aux services, de la perte des moyens de subsistance, de la faiblesses du marché et de la situation économique qui a réduit le pouvoir d’achat des populations et ainsi diminué leur accès aux intrants agricoles.
L’Ouganda est aujourd’hui le pays d’Afrique qui accueille le plus grand nombre de réfugiés, avec plus d’un million de réfugiés provenant du Soudan du Sud. En moyenne, quelque 2800 réfugiés Sud-Soudanais traversent la frontière chaque jour.
Dans beaucoup de pays, les conflits et la faim sont aujourd’hui les principales raisons des déplacements de population. Les populations déplacées, parfois contraintes à des déplacements à répétition, sont particulièrement vulnérables : elles se retrouvent démunies et contraintes d’adopter des stratégies de survie destructrices – ne manger qu’un seul repas par jour, se nourrir d’aliments moins nourrissants ou encore vendre des biens. À l’échelle mondiale, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées atteint aujourd’hui les 64 millions de personnes. Les enfants sont souvent les premières victimes : près de 122 millions d’enfants de moins de cinq ans présentant des retards de croissance vivent dans des pays touchés par un conflit.
D’après les auteurs du rapport de la FAO, « la concomitance de conflits et de catastrophes naturelles d’origine climatique pourrait être plus fréquente sous l’effet du changement climatique, car celui-ci non seulement aggrave les problèmes liés à l’insécurité alimentaire mais peut aussi mener inexorablement à des conflits ».
Les sécheresses sont des événements récurrents dans la Corne de l’Afrique et la bande sahélienne – mais, après trois ans de sécheresse persistante, aggravée par le changement climatique à l’œuvre, la situation alimentaire a pris une envergure dramatique dans plusieurs pays. En Somalie, frappée par des chocs climatiques particulièrement intenses exacerbés par le phénomène El Niño, c’est aujourd’hui près de la moitié de la population qui se retrouve en situation d’insécurité alimentaire, soit 6,2 millions de personnes. En 2010-2011, la famine en Somalie a tué près de 260 000 personnes. Et, si la famine a pu être évitée en 2017 grâce aux interventions humanitaires d’urgence, la situation reste catastrophique, au vu notamment de l’avancée des sécheresses et des pronostics très négatifs quant aux pluies saisonnières.
Dans un pays peuplé majoritairement de communautés agro-pastorales, les troupeaux ont été décimés par les sécheresses à répétition et leurs effets, et les populations contraintes à se déplacer en quête d’eau et de nourriture. Les conflits pour les ressources sont monnaie courante et les services déjà limités ne parviennent pas à faire face à l’arrivée massive de personnes déplacées autour des centres urbains, tandis que les sécheresses s’intensifient sur de larges pans de territoire et que les familles qui ont tout perdu tentent tant bien que mal de survivre.
Près de 945 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë en Somalie, dont plus de 185 000 de malnutrition aiguë sévère. Plus de la moitié de la population du pays a besoin d’une aide alimentaire. Des décès directement liés à la sécheresse continuent d’être constatés – les maladies liées à l’eau, comme la diarrhée aqueuse aigue ou le choléra, sont de plus en plus répandues et continuent d’augmenter, en raison du manque d’eau, des mauvaises conditions d’hygiène et d’assainissement, mais aussi du réchauffement climatique, qui contribue à favoriser la prolifération de bactéries dans l’environnement. La propagation des maladies augmente à son tour les risques de malnutrition.
Malnutrition et maladies, ou deux autres corollaires l’un de l’autre, l’un rendant l’autre plus sévère et plus susceptible de se produire, et vice versa. Malnutrition et maladies affaiblissent le système immunitaire, encore plus celui des enfants. Ils sont ainsi plus susceptibles de mourir de maladies ou de déshydratation, d’autant plus que l’accès à l’eau est fortement compromis. Les maladies d’origine hydrique sont largement répandues et tuent particulièrement les enfants. Leur organisme, privé des éléments nutritionnels nécessaires à leur croissance, favorise la malnutrition, qui entraîne à son tour une plus grande vulnérabilité aux maladies. Les corps affaiblis et malnutris sont plus susceptibles de tomber malades, et sont des proies faciles pour les bactéries mortelles comme celle du choléra.
Le choléra resurgit et prolifère dans beaucoup de zones de conflit des suites de la dégradation des conditions sanitaires et humanitaires. Soudan du Sud, République démocratique du Congo, Yémen : autant d’exemples de situation de conflit qui ont précipité les populations dans la crise alimentaire et sanitaire. Le Yémen connaît aujourd’hui la plus grave épidémie de choléra dans le monde, avec 686.783 de cas suspects au 17 septembre. Entre conflit, pauvreté et choléra, le pays est aujourd’hui au bord de la famine, avec 17 millions de personnes concernées par l’insécurité alimentaire.
Au Yémen, l’épidémie de choléra s’est déclarée en octobre 2016. N’ayant pu être endiguée faute de médecins et de structures de santé fonctionnelles, l’épidémie s’est généralisée à tout le pays au mois d’avril 2017, au début de la saison des pluies. La faim ne fait qu’aggraver la situation : les enfants malnutris seraient 1,7 millions d’après les Nations Unies. « Un enfant malnutri n’a aucune chance face au choléra », raconte Liny Suharlim, directrice pays d’ACTED au Yémen. « Beaucoup de gens meurent car ils ne sont pas en mesure de se rendre au centre de santé le plus proche ».
L’approvisionnement en nourriture et en médicaments est fortement compromis en raison des combats et des contraintes bureaucratiques. « 10 000 personnes sont mortes parce qu’elles n’ont pas pu quitter le pays pour recevoir les soins médicaux dont elles avaient besoin », continue Liny Suharlim. La situation ne risque que de s’aggraver – la famine menace et pourrait concerner plus d’un million de personnes, au beau milieu d’un conflit sanglant et sans issue qui dure maintenant depuis deux ans et demi.
La mobilisation humanitaire est indispensable pour contrer une évolution encore plus dramatique des crises alimentaires et sanitaires qui touchent de plus en plus de personnes dans le monde. ACTED reste mobilisée pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la propagation de maladies et d’épidémies graves, et pour faciliter l’accès à de l’eau propre. Au-delà des opérations d’urgence, une des priorités des équipes d’ACTED sur le terrain est de favoriser la construction de la résilience des populations aux chocs : qu’ils soient d’origine humaine ou climatique, la construction de la résilience est une étape primordiale pour faire face aux chocs futurs et réduire les vulnérabilités, dans un contexte actuel de crises protéiformes, multidimensionnelles et de plus en plus complexes.