Les campagnes de changement comportemental contre le choléra
C’est jour de marché à Bonbon, petite ville côtière de la Grand’Anse. Marchandes et passants s’agitent entre les étalages du marché, très fréquenté bien qu’assez petit. Le marché s’étend le long de la rivière qui se jette dans la mer un peu plus loin, avec les marchandes installées à même le sol ou sur de petits tabourets. Certaines s’abritent du soleil sous une bâche qu’elles ont tendue à l’aide de pics de bois, tandis que la plupart profitent des quelques centimètres d’ombre des arbres environnants. L’eau bleue et claire de la rivière, scintillante sous l’effet des reflets des rayons du soleil, oblige les marchandes et les passants à plisser les yeux.
Ce matin, quatre personnes de l’équipe de sensibilisation d’ACTED à Jérémie sont venues au marché de Bonbon pour une campagne de changement de comportement : il s’agit d’expliquer aux populations les risques du choléra et de les inciter à adopter les bonnes pratiques pour lutter contre la maladie.
Depuis 2010, Haïti est touchée par une épidémie majeure de choléra, alors que la maladie avait disparu depuis longtemps dans le pays. Avec déjà plus de 10 000 morts, cette épidémie de choléra est l’une des pires de l’histoire moderne. La bactérie du choléra est extrêmement contagieuse et particulièrement résistante. Sans prise en charge adaptée et en l’absence de traitement, le malade peut décéder en quelques heures.
L’approvisionnement en eau sûre et l’assainissement : deux conditions cruciales pour réduire la propagation du choléra
L’un des principaux vecteurs de transmission du choléra est l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par le vibrion du choléra. Suite à l’ouragan Matthew qui a frappé Haïti début octobre 2016, près de 750 000 personnes se sont retrouvées sans accès à une eau saine et propre à la consommation, laissant craindre une recrudescence de la maladie. Dès octobre, la situation épidémiologique est apparue d’emblée comme particulièrement alarmante, le nombre de cas suspects ayant doublé par rapport au mois précédent. Grâce à l’intervention rapide et complète d’ACTED et de ses partenaires, la recrudescence de choléra dans la zone a pu être évitée. Le renforcement de l’accès à l’eau potable, accompagné d’actions complémentaires d’assainissement, de surveillance, d’investigation et de réponse aux cas de choléra ont permis ce succès. Désormais, les équipes mettent l’accent sur la prévention, afin que la population soit à même d’adopter les comportements permettant d’éviter la maladie et de réagir au mieux face aux cas de choléra.
Prévenir pour lutter durablement contre le choléra
Au-delà de l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés, les pratiques à risque et le manque d’information sont monnaie courante, et augmentent considérablement les risques de choléra, ou de toute autre maladie hydrique. Les campagnes de changement de comportement constituent donc un volet particulièrement crucial de la lutte contre la maladie, car elles permettent d’éviter la contagion en amont. Depuis octobre 2016, plus de 93 000 personnes ont été sensibilisées aux risques liés au choléra et aux bonnes pratiques pour s’en prémunir. Cela étant, c’est l’intégration et l’habitude de ces bonnes pratiques seules qui permettra de véritablement réduire les risques. C’est là tout l’enjeu pour les équipes de sensibilisation d’ACTED : comment garantir une prise de conscience et un changement de mentalité dans le sens des bonnes pratiques d’hygiène ?
Récit d’une journée avec les équipes de sensibilisation sur un marché dans la commune de Bonbon, en Grand’Anse
Pour les équipes d’ACTED, ces campagnes présentent donc un double enjeu : toucher un maximum de personnes d’une part, et inscrire les acquis de la sensibilisation dans la durée d’autre part. Tous les jours, les équipes se rendent dans les communautés pour sensibiliser les populations. Aujourd’hui, c’est à Bonbon qu’elles se rendent. Elles ont choisi le marché de la ville pour porter leurs messages : lieux de passage très fréquentés, les marchés constituent des lieux idéaux pour toucher un maximum de personnes.
Les sensibilisateurs, sous la supervision de Petit Nicholson, le responsable, s’installent à un croisement. A l’aide d’un mégaphone, ils commencent à interpeller les passants. Parvenir à se faire entendre au milieu du brouhaha du marché n’est pas une mince affaire : sur le chemin traversant le marché, des cargaisons de marchandises, un va et vient incessant de personnes qui se croisent, qui s’arrêtent, qui repartent. Des hommes à dos de mule crient pour se frayer un passage au milieu des passants et faire avancer leurs montures chargées de larges paniers pesant lourdement sur leurs flancs.
Les marchandes viennent ici pour vendre leurs produits, et les passants pour acheter de quoi nourrir leur famille à bon prix. Ils ne sont pas venus pour acquérir des connaissances sur le choléra. Nous devons donc penser minutieusement ce type d’opérations : les sensibilisations sur les marchés sont très importantes, car elles permettent de toucher beaucoup de monde, mais elles ne sont pas évidentes : tout doit donc être bien préparé et adapté au contexte.
Mais peu à peu, appelé par la voix amplifiée par le mégaphone de Dina, une des sensibilisatrices, un petit attroupement se forme autour des équipes d’ACTED. « Quelqu’un sait-il comment s’attrape le choléra ? Qui connaît les gestes de prévention ? », interroge alors Dina. Une dame âgée répond, mobilisant ainsi davantage d’attention au sein du petit groupe. « L’autorité des personnes âgées renforce notre crédibilité », précise Petit Nicholson. C’est ainsi que, petit à petit, l’attroupement grandit. Les sensibilisateurs s’attèlent alors à expliquer les causes de la maladie et à exposer les gestes de prévention et les attitudes à avoir en présence de personnes malades pour éviter la contagion.
Pendant ce temps, Petit Nicholson se poste près de la rivière : de nombreux marchands arrivés des collines ou des terres, après avoir parcouru un long chemin sous le soleil brûlant, se dirigent spontanément vers la rivière pour y trouver un peu de fraîcheur, tout comme leurs mules. Bien que claire et propre en apparence, l’eau de la rivière est en réalité susceptible d’être contaminée par des excréments, et donc de transmettre des maladies. Impropre à la consommation, ceux qui la boivent ou qui s’y lavent sans savon peuvent contracter le choléra. Petit Nicholson est là pour les inciter à se joindre à l’équipe d’ACTED, qui entre temps a mis en place un atelier de lavage des mains. Dina explique l’importance de cette habitude tout en se savonnant les mains, tandis qu’une file de personnes de tous âges se forme devant le bidon d’eau pour en faire de même.
Quant aux marchandes, affairées à vendre leurs produits, elles n’ont pas entendu les informations diffusées par l’équipe. Un sensibilisateur se rend donc auprès de chacune d’elles : la consommation d’aliments contaminés peut transmettre le choléra, et il est donc essentiel de faire passer l’information auprès des marchandes pour leur expliquer comment éviter les risques du choléra, et comment les éviter à leurs clients, par des gestes simples comme couvrir leurs produits pour les protéger des insectes, par exemple, qui peuvent être porteurs de la maladie.
Avant de repartir, les équipes distribuent des savons et des doses de sérum de réhydratation orale, permettant d’apporter un premier soulagement aux malades avant de rejoindre une structure de santé. Pour s’assurer de l’appropriation des messages de prévention, les équipes posent des questions sur l’utilisation et la fréquence d’emploi du savon et du sérum, afin de vérifier la bonne compréhension et l’appropriation des connaissances transmises et des bonnes pratiques. Une marchande, qui avait d’abord montré de l’agacement, écoute maintenant attentivement le message des équipes : elle a compris sa responsabilité dans la prévention des risques de transmission du choléra par les aliments. « De plus en plus de personnes viennent nous écouter, et elles sont de plus en plus nombreuses à savoir répondre à nos questions. C’est encourageant ! Cela veut dire que nos messages sont compris, et que les populations se les approprient. C’est gage de changement durable », conclut Petit Nicholson, satisfait.