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Lancement de la 4ème phase du Mécanisme de Réponse Rapide dans la Province du Lac au Tchad

La situation sécuritaire au Tchad s'est fortement dégradée depuis la première incursion de Boko Haram, le 15 février 2015, dans le village de N'Gouboua, dans la province du Lac. Depuis, le Tchad est devenu une cible pour les Groupes Armés Non Etatiques (GANE). Dans la province du Lac, des affrontements périodiques ont lieu. Les raids dans les villages, les vols de bétail, les enlèvements de personnes et les détournements de voitures restent courants aujourd'hui.

Cette crise sécuritaire a provoqué le déplacement de nombreuses familles tchadiennes, qui ont dû fuir leurs foyers vers des zones plus sécurisées de la Province, après avoir vu leur village et leurs moyens de subsistance (champs, bétails …) détruits. Ces familles ont aussi parfois fui par anticipation d’une attaque.

Après une période d’accalmie, l’année 2019 a été marquée par une recrudescence d’incursions entraînant des déplacements massifs de personnes. Selon l’OIM, en mars 2023 on comptait encore 255 000 personnes déplacées dans la Province du Lac, dont 55% de mineurs. Dans tous les secteurs, les besoins des populations déplacées et hôtes s’accentuent. Selon l’aperçu des besoins humanitaires, en 2023, 1,7 million de personnes nécessiteraient d’une assistance en abris et en biens de première nécessité, soit trois fois plus de personnes qu’en 2022. Près de 3,7 millions d’individus ont besoin d’assistance pour accèder à l’eau et 1,3 million de personnes ont besoin d’une assistance alimentaire.

Depuis les évènements de 2015, la réponse humanitaire ne fait qu’augmenter, tout en suivant l’évolution des besoins de la population. En juin 2020 le Mécanisme de Réponse Rapide (RRM) est mis en place, Acted rejoint ce programme en 2021. Financé  par l’Union européenne et USAID, il vise à apporter une assistance multisectorielle aux personnes déplacées internes en raison de la crise sécuritaire, liée à la présence des groupes armées dans le bassin du Lac.

Le RRM dans la Province du Lac au Tchad vient de terminer sa 3ème année consécutive d’activité, et a entamé sa 4ème phase au mois de juin. Acted, Action Contre la Faim et INTERSOS, les trois partenaires de mise en œuvre du projet, bénéficient mutuellement de leur expertise et mènent un travail de coordination et de consultation avec les acteurs humanitaires, les autorités locales, ainsi que les bénéficiaires eux-mêmes, pour continuer d’améliorer la pertinence et la qualité de la réponse humanitaire.

Distribution de kits d'abri
Distribution de coupons alimentaires

Des besoins croissants dans un contexte en proie au dérèglement climatique

Depuis la fin de l’année 2020, les conditions sécuritaires continuent à se dégrader dans la province du Lac. En conséquence, les personnes se déplacent, amplifiant les besoins humanitaires déjà existants. L’arrivée des populations déplacées dans les villages ou dans les sites de déplacés exerce une pression sur les faibles ressources disponibles des communautés hôtes. Les communautés déplacées qui fuient les abords du Lac vers l’intérieur des terres, perdent l’accès aux terres les plus fertiles, aux pâturages et aux zones de pêche.

Cette situation a lieu dans un contexte de forte vulnérabilité face aux catastrophes naturelles. Dans les zones où se déplacent les populations, les effets du changement climatique sont dévastateurs et menacent leur résilience.  Le changement climatique a entraîné une réduction de la quantité des pâturages et des terres fertiles disponibles pour l’agriculture, ainsi qu’une diminution de la population de poissons dans le lac.

Cette situation a contraint les communautés rurales à pratiquer la surpêche et à surexploiter les terres, créant ainsi un cercle vicieux destructeur. Les sols surmenés et érodés ne peuvent plus retenir l’eau, ce qui exacerbe les effets des sécheresses et des inondations. Les sécheresses saisonnières réduisent la surface des terres exploitables chaque année, et les inondations survenues entre août et octobre 2022 ont également détruit plus de 22 100 hectares de champs et causé la perte de près de 6 100 animaux d’élevage.

Le Mécanisme de Réponse Rapide est, dans ce contexte, de plus en plus sollicité. Prévu initialement pour répondre aux déplacements liés à la situation sécuritaire, certaines interventions ont cette année, également permis d’assister des déplacés climatiques. Grâce au renforcement du soutien de l’Union européenne, plus de 85 000 personnes déplacées vulnérables, ont bénéficié d’une assistance humanitaire.

Visite de l'Union européenne sur un site d'intervention

Se questionner pour améliorer les modalités de l’assistance

Fort de ses trois années d’expérience auprès des populations déplacées de la Province du Lac, le Consortium cherche constamment à améliorer ses interventions et à répondre le plus fidèlement possible, aux besoins des bénéficiaires. Pour cela, un travail de coordination et d’évaluation est fait à plusieurs échelles.

A l’échelle nationale et provinciale, les trois Organisations Non Gouvernementales (ONG) membres du Consortium participent régulièrement aux réunions des clusters sectoriels (sécurité alimentaire, abris, eau et assainissement, PSEA…). Ces réunions permettent aux ONG de coordonner leur réponse, d’identifier les besoins, ainsi que les tendances et innovations adoptées en matière d’intervention.

Grâce à ces rencontres, fin 2022, le groupe de travail « cash » a révélé une hausse des prix sur les marchés.  Le montant de cash distribué aux bénéficiaires dans le cadre de l’assistance alimentaire a donc été réajusté.

Le Consortium participe lui aussi activement à cette coordination nationale et provinciale en réalisant, à chaque alerte de déplacement confirmée, une évaluation multisectorielle des besoins auprès des nouveaux déplacés dans la zone identifiée. Les rapports d’évaluation sont ensuite partagés à la communauté humanitaire toute entière. Ainsi, un niveau d’information élevé est maintenu,  permettant d’exercer un plaidoyer auprès des bailleurs et ONG pour que l’assistance se poursuive, après les trois mois d’intervention du RRM.

Sur le terrain, l’évaluation des besoins en amont de l’intervention et directement auprès des bénéficiaires, permet d’adapter les activités pour les trois mois à venir. Pendant l’intervention, un  Mécanisme de Gestion des plaintes (MGP) est mis en place grâce à différents canaux : comité de gestion des plaintes local, boite à plaintes installée sur les sites de déplacés et dépouillée régulièrement, numéro vert et email, présence de staffs dédiés au stand MGP lors des interventions. Autant de dispositifs qui sont mis en place pour prendre en compte toutes les vulnérabilités (volonté d’anonymat, distance et/ou incapacité de se déplacer, illettrisme…).

Une enquête de satisfaction est aussi réalisée auprès des bénéficiaires à la fin des trois mois d’intervention. Cela a notamment permis en 2022, d’ajouter un verrou et un cadenas au kit d’abris distribué par Acted, procurant une meilleure sécurité et intimité aux familles. Cette année, les bénéficiaires ont relevé le manque de résistance et la chaleur des abris avec des toits en bâche. C’est pourquoi, pour la 4ème phase du programme, le kit sera composé d’un toit en tôle.

Enfin, sur les sites de déplacés, des comités sont créés parmi des bénéficiaires pour décider, par exemple, des emplacements des infrastructures d’eau et d’assainissement, et remonter les problèmes rencontrés. L’année dernière, l’implication des communautés dans la conception des latrines a permis d’insérer une petite fenêtre dans les latrines des hommes afin de les différencier de celles des femmes, et réduire les incidents de protection.

La protection est par ailleurs un pilier à part entière de ce programme. En effet, les staffs d’Acted, d’Action Contre la Faim, et d’INTERSOS sont formés à la protection contre les abus et exploitations sexuels. Cela est primordial afin d’accueillir au mieux des familles ayant subi, puis fui la violence des attaques armées. Durant les distributions de cash et d’abris par Acted, et de biens de première nécessité et d’hygiène par Action Contre la Faim, les personnes les plus vulnérables telles que les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées, et celles avec un handicap, sont identifiées et servies en priorité.

Famille sortant du site de distribution de Méléa

Aller vers un modèle de résilience

Acted et les autres membres du Consortium mènent un plaidoyer auprès des autres acteurs humanitaires et des bailleurs pour solliciter la continuité de l’assistance au-delà des trois mois d’intervention du Mécanisme de Réponse Rapide.

En effet, il existe souvent un décalage entre les besoins des populations et l’aide humanitaire apportée. Désormais, le plaidoyer s’adresse également aux acteurs du développement, non plus seulement auprès de ceux de l’urgence. En effet, certaines personnes sont déplacées depuis maintenant plusieurs années et près de 92% des ménages  ne souhaitent pas retourner dans leurs communautés d’origine, les conditions sécuritaires ne le permettant pas et les moyens de subsistance étant détruits.

Ces familles sollicitent le soutien des acteurs humanitaires pour le développement d’activités génératrices de revenus, telle que la culture agricole, le pastoralisme et toute autre activité économique qui leur permettrait de s’installer définitivement et de regagner leur autonomie. Se pose néanmoins la question de la cohabitation entre les communautés hôtes et les populations déplacées, et par-dessus tout le partage des terres et des ressources, qui peut engendrer de nouveaux conflits, dans un contexte où les catastrophes naturelles et climatiques pèsent déjà fortement sur les ressources naturelles et les infrastructures existantes dans la Province du Lac.

Grâce au soutien de l’Union européenne et d’USAID,  lors de la 3ème phase consécutive du RRM, plus de 85 000 individus ont bénéficié d’une assistance alimentaire, en abris, d’un accès à l’eau, à l’assainissement et aux biens de première nécessité, ainsi que d’une assistance psychosociale.

Pour la 4ème phase, qui a débuté en juin 2023, les membres du Consortium chercheront à améliorer davantage la qualité et la pertinence de leurs interventions. La saison des pluies a débuté tôt cette année, et l’expérience des inondations fulgurantes de l’année dernière, présage un grand nombre de nouveaux déplacés climatiques, tandis que la situation sécuritaire continue de se dégrader. Dans ce contexte de crises multiples, les enjeux de long terme seront au cœur de la stratégie de plaidoyer du Consortium.